Le pilote /2
La peur et la confiance
Le seul moyen de voler sereinement est d’avoir confiance en son matériel, en la masse d’air et en son niveau de pilotage. Mais qui dit confiance sous-entend méfiance, peur et danger. Qui dit peur, sous-entend courage. Car c’est seulement face à la peur que l’on peut faire preuve de courage, en agissant malgré la peur.
Il faut avoir peur !
Homo sapiens n’est pas conçu pour voler. Il est donc normal de ne pas se sentir dans son élément lorsqu’on est suspendu dans les airs sous une aile en tissu et quelques ficelles! La peur, émotion du danger, est un sentiment naturel. Sans elle, nous n’aurions pas survécu à la terrible sélection naturelle au cours de l’évolution. La peur, en effet, augmente notre vigilance et notre capacité à faire face au danger qui peut être réel ou imaginaire, conscient ou inconscient, et peut concerner une situation imminente ou lointaine dans le temps.
Deux exemples: le vent a forci, le petit cumulus a méchamment grossi, sa base est devenue sombre et j’aperçois des éclairs au loin… Ou bien ma voile est cravatée, je suis twisté et ça commence à tourner fort… Dans ces deux cas le danger est bien réel et avoir peur est nécessaire.
Adrénaline et endorphine
Par chance, le corps humain est doté d’un mécanisme de protection naturelle qui enclenche des processus de défense qui augmentent nos chances de surmonter le danger. Il faut notamment parler de la production d’adrénaline. L’adrénaline est un neurotransmetteur très puissant qui commande aux différentes parties du corps de réagir plus rapidement : le rythme cardiaque s’accélère, les réflexes sont vifs, la lucidité est accrue, comme si le temps s’écoulait plus lentement. C’est la bonne adrénaline. Celle des exploits sportifs. Celle qui donne des ressources insoupçonnées au corps humain.
La viscosité mentale
Mais une dose trop importante d’adrénaline pour un individu non habitué est assez déroutante car elle s’accompagne de bouffées de chaleur et tremblements. Mais surtout, après une grosse dose d’adrénaline, le corps est capable de sécréter une autre hormone, l’endorphine, qui produit l’effet inverse: le pilote est passif, contemplatif, dans une sorte de béatitude. Ceci ne devrait se produire qu’une fois posé en sécurité. Car en vol cela provoque ce que l’on appelle la viscosité mentale. Il ne s’agit pas du tout de peur panique. Au contraire le pilote est plutôt bien, mais complètement passif. Il ne se rend plus compte du danger. Il se laisse faire, le cerveau englué et tous les sens en retrait.
Diminuer le danger
Lorsque le danger est réel, la peur est directement proportionnelle au danger.
Pour diminuer la peur, il faut diminuer le danger !
Encore faut-il être capable d’identifier les dangers afin de pouvoir agir sur ceux-ci.
Interrogez-vous…
Je vous propose une sorte de « check list » sous forme de questions pour évaluer les différents facteurs qui conditionnent votre prise de risque (donc le danger encouru) en volant. Il faut toujours prendre en considération les trois éléments du vol : le pilote, son matériel et l’environnement…
Le Pilote: Ai-je bien dormi ? Bien mangé ? Bien hydraté ? En forme ou sans le moindre entraînement sportif depuis des mois ? Mon état mental ? Pas trop de soucis (travail, sentiments) ? Ai-je le niveau de piloter mon aile dans ces conditions ? Une bonne expérience de ce type de conditions et de terrain ?
Le matériel: En bon état ? Est-ce que je connais bien mon matériel ou est-ce un essai, une nouvelle voile ? Ce matériel est-il adapté à mon niveau de pilotage, à ma forme de pratique, et aux conditions ?
L’environnement: Les conditions aérologiques sont-elles acceptables pour moi (température, vent, activité thermique) ? L’environnement est-il accueillant (dunes, pentes herbeuses, forêts…) ou hostile (rochers, épineux, zone urbanisée, lac…) ? Y-a-t-il d’autres voiles autour ?
Si plusieurs voyants sont au rouge (ma femme m’a quitté, je n’ai pas dormi, j’ai une nouvelle voile de compétition…), mieux vaut s’abstenir de voler ! Si seulement un des voyants est au rouge, je dois augmenter ma vigilance. Par exemple, si j’essaie une nouvelle voile, je prends de plus grandes marges par rapport aux conditions et à mon niveau.
Si je prends le temps de vérifier que tous ces voyants sont au vert, je vole avec une sécurité optimum et il est donc facile d’être confiant.
En diminuant le danger on augmente la confiance.
Mais il arrive que l’on ressente de la peur alors qu’il n’y a pas de danger imminent ni même réel ! Mon cerveau se fait des films. On parle alors d’angoisse, d’anxiété, deux émotions proches de la peur qui peuvent gâcher le plaisir de voler… Penchons nous un peu plus sur les causes de la peur en parapente…
La peur du vide
Personnellement, je connais bien ce problème car je suis sujet au vertige qui provoqua, il y a quelques années, ma plus grosse frayeur jamais ressentie en parapente ! C’est une peur difficile à dominer car elle s’inscrit au plus profond du cerveau. Nous verrons comment apprivoiser la peur du vide comme toutes les autres peurs…
La peur en thermiques
La plupart du temps, c’est le vol en conditions thermiques qui provoque une multitude de phénomènes effrayants voire terrifiants : une secousse soudaine infligée par la masse d’air, un bruit sourd provoqué par une fermeture-réouverture violente, une accélération du vent relatif qui vient vous gifler le visage, un gros mouvement pendulaire en entrée ou sortie de thermique, la perte de repères dès que l’on se retrouve au-dessus de tout relief, ou simplement le cri strident du vario qui s’emballe… Ce sont des phénomènes bien réels et naturellement effrayants.
Les films qu’on se fait…
Les peurs ou plutôt les angoisses les plus sournoises sont souvent provoquées par les questions que l’on se pose : « Et si je m’étais trompé dans mon analyse météo ? Comment se comporte ma voile en cas de grosses turbulences ? Et si une fermeture me faisait partir en autorotation, saurais-je la contrôler ? Si ça continue à monter, saurais-je descendre ? Suis-je capable de supporter physiquement une série de 360 engagés ?… Est-ce que mes suspentes sont assez solides ? Est-ce que mon parachute de secours fonctionne correctement ? ». Évidemment, il est difficile de voler sereinement avec de telles pensées !
Se concentrer!
L’oisiveté en vol laisse le cerveau en liberté : il peut automatiquement se mettre en mode bonheur et plénitude si mon tempérament est positif. Mais il peut aussi se mettre en mode méfiance et peur si je suis du genre pessimiste ou si j’ai des difficultés dans la vie. Le mieux est donc d’être concentré ! Par exemple en conditions thermiques, en se fixant un objectif comme monter au plafond. Du coup mon cerveau est occupé à analyser chaque sensation, mon regard cherche constamment les signes m’indiquant l’activité thermique, je surveille les autres utilisateurs de l’espace aérien (parapentes, oiseaux…), je regarde les feuilles des arbres qui s’agitent quand le thermique vient les effleurer… Une fois mon premier objectif atteint, plutôt que de rester là haut sans savoir quoi faire (au risque que mes pensées s’orientent à nouveau sur des thèmes comme le vertige ou les turbulences…) fixons nous vite un autre objectif, comme transiter et tenter un petit cross ou bien trouver un secteur adapté et se faire une petite descente d’entraînement au pilotage.
Pour ma part, c’est comme ça que je soigne ma peur du vide !
Mais si, grâce à cette concentration, on se pose moins de questions angoissantes, il va tout de même falloir répondre à ces questions pour trouver un peu plus de sérénité…
Avoir confiance en soi c’est être assuré de ses capacités. Capacité à se connaître (forme physique et morale du moment), capacité d’analyse (aérologie, terrain) et capacité de pilotage.
Si vous n’êtes pas bien en vol lorsque les conditions sont turbulentes, c’est probablement parce que vous utilisez une machine que vous ne maîtrisez pas complètement. Il ne s’agit pas de changer de machine, mais d’apprendre à la maîtriser !
On a souvent pensé à mon égard, en tant qu’acrobate, que j’étais un pilote très audacieux, voire un peu fou ! En fait, je ne suis pas très téméraire. Mon goût pour le pilotage vient avant tout du fait que j’aime me sentir maître de mon engin, que ce soit une voiture, une bicyclette, une aile de speed riding ou de parapente. C’est pour avoir moins peur, que je me suis mis à la voltige ! Du coup, quand je vole, j’ai confiance en mes capacités techniques : je sais maîtriser ma voile dans toutes les situations. Ceci ne m’empêche pas d’éprouver de la peur en affrontant les grosses conditions thermiques, ou dès que je prends trop de hauteur, ou encore en abordant une nouvelle manœuvre de voltige…
S’habituer
On a beau avoir diminué le danger en utilisant du matériel fiable, en augmentant son niveau de pilotage ou en choisissant une aérologie saine, pourtant on ne se sent pas complètement rassuré. C’est que le simple fait de voler comporte un certain danger. Ceci nous amène à une réflexion fondamentale sur le rapport au danger :
J’ai peur d’un danger auquel je ne suis pas habitué. Je m’habitue facilement si je côtoie souvent ce danger.
Prenons des exemples. En speed riding, passer à 2 mètres d’un rocher à plus de 130 km/h, c’est dangereux. En voiture, prendre une courbe à 130 km/h et passer 2 mètres à côté d’un véhicule en panne sur la bande d’arrêt d’urgence, c’est aussi dangereux ! Dans les deux cas, je n’ai pas le droit à l’erreur. Pourtant, je vais être davantage effrayé en voyant passer le speed rider que la voiture. Car je suis habitué à voir des voitures passer à cette allure sur la route !
En voiture, rouler sur le périphérique parisien, en pleine heure de pointe représente un réel danger. Pour moi, habitant de la campagne, c’est une épreuve stressante : tous mes sens sont en éveil, je ressens fortement les risques. Pour le travailleur parisien qui côtoie cet environnement tous les jours, le danger est le même, mais il n’y pense même pas !
Voici donc une des clefs fondamentales de la confiance : il faut s’habituer petit à petit !
Que ce soit aux conditions thermiques, à la hauteur, ou à la force G. Pour traiter la peur, il faut donc s’y confronter de manière progressive et surtout très régulière. S’auto-injecter des doses de peur contrôlables, sans fuir la situation, et en sortir vainqueur et grandi ! En répétant ces expositions, on arrive à modifier sa « biologie de la peur ». Et le cerveau commence à réagir différemment, par exemple en délivrant de petites doses d’adrénaline que mon corps connaît et accepte.
Si vous voulez être capable de dominer votre peur du vide, il faut faire de l’escalade, voire de la chute libre ! Si vous n’êtes pas à l’aise en conditions thermiques, il faut d’abord beaucoup voler en conditions calmes ! Prenons un exemple : je prends une semaine de vacances au mois de mai pour aller voler à Annecy. Cela fait plus de six mois que je n’ai pas volé, mais les conditions sont fumantes et j’ai très envie d’essayer ma nouvelle voile… Si vous allez faire votre premier vol de la saison en plein après-midi, il ne faut pas vous étonner d’être mal à l’aise, car en vérité vous êtes en danger !
Prenez le temps de déplier votre aile sur une pente école, de multiplier les ploufs contemplatifs du matin, de faire du gonflage l’après-midi avant un vol du soir lorsque les conditions s’apaisent… En quelques jours vous aurez à nouveau la capacité (mentale et technique) d’aller exploiter les thermiques de fin d’après midi et pourquoi pas faire un fantastique cross en fin de semaine si vous avez le niveau et si vous avez choisi une aile adaptée.
Peur de la ” force centrifuge”?
Il en va de même pour l’accoutumance à la force g. Chacun de nous est plus ou moins apte à résister à la centrifugation provoquée par une série de 360 engagés. Certains y trouveront vite du plaisir tandis que pour d’autres, il faudra s’infliger plusieurs séries d’exercices, afin de s’accoutumer en prenant le temps d’être très progressif dans l’engagement. Il faudra aussi apprendre à se gainer et à placer correctement le regard. Nous verrons surtout une technique de respiration très efficace qui augmentera votre capacité physique à résister aux effets de la “force centrifuge”.
En résumé, pour voler en sérénité, je dois diminuer la dose de danger et m’y habituer progressivement. Rappelons que pour diminuer le danger je dois notamment connaître mes réelles capacités de pilotage afin de bien choisir mon matériel et mes conditions de vol.
Connaître son niveau de pilotage
Si vous avez du mal à connaître vos réelles capacités de pilotage, un stage en milieu aménagé vous permettra de faire le point.
Dans ce manuel vous trouverez régulièrement des questionnaires à choix multiples. Ce sont de bonnes occasions de tester vos connaissances théoriques.
« Mais j’ai peur de faire un tel stage ! Me retrouver 600 mètres au-dessus du lac, équipé d’un gilet de sauvetage, et provoquer toutes sortes de mouvements, subir des incidents de vol et la force G ! »
C’est vrai, ce sont de bonnes raisons d’avoir peur : l’inconnu, le risque, les mouvements.
« Alors pour diminuer sa peur en vol, il faut faire un stage qui fait peur ? »
Et bien oui ! Voler en sérénité se paie par un peu de courage !
Mais pas de panique, là encore un bon moniteur va vous faire progresser à votre niveau. Les exercices seront abordés avec progressivité et répétition. Vous validerez chaque compétence avant d’aborder un exercice de niveau supérieur.
Conclusion
On ne guérit pas de ses peurs, mais on apprend à les dominer. La peur sera toujours là… ou prête à revenir. Après une longue période sans exposition à la source de vos angoisses, il faudra reprendre un travail d’accoutumance.
Si vous êtes conscient de vos capacités, si votre matériel est adapté à votre niveau, si vous êtes suffisamment sage pour adapter votre forme de pratique et vos ambitions à votre réelle expérience… tous les ingrédients de la sérénité sont réunis. Si votre moral et votre niveau de pilotage sont faibles, contentez-vous de la joie des ploufs en conditions calmes, loin de la foule des grands sites, avec une aile facile et ludique. Si vous voulez absolument affronter les gros thermiques et faire du cross, il va falloir acquérir un niveau de pilotage suffisant pour contrôler la voile dans des situations aérologiques parfois inattendues et violentes. Être capable de la tenir, et être capable de gérer les incidents de vols. Si vous voulez faire de la voltige, il vous faut apprendre toutes les bases une par une et progresser sans sauter d’étape techniquement et mentalement.